• Les Femmes et le Blues, selon Nina Van Horn et Buzzy Jackson

    Fait exceptionnel, ces dernières années ont vu la parution de deux ouvrages en français sur les chanteuses de Blues, très complémentaires puisque très différents: l'un assez copieux, œuvre d'une historienne américaine, et le second spontané et rafraîchissant écrit une chanteuse de blues de notre temps. Étant donné le peu de place accordée aux chanteuses dans la documentation sur le Blues, ces livres sont donc précieux et doivent être salués.


     

     

     

    Les Femmes et le Blues, selon Nina  Van Horn et  Buzzy JacksonCommençons par le plus récent, celui de Nina van Horn. Vous trouvez les livres sur le blues ennuyeux et rébarbatif :  vous allez apprécier celui-là ! Vous êtes las de lire pour la centième fois l'histoire de Robert Johnson, celle de Blind Lemon mort de froid, ou encore le récit de BB King sautant dans un brasier (pas pour se réchauffer mais pour sauver sa guitare..) : ce livre, il  est aussi pour vous. Vous pensez que le blues d'avant-guerre se résume à quelques paysans peinards sous leur véranda égrainant quelques notes en jetant un regard méditatif sur la morne plaine du Delta, alors il devient urgent de lire le Hell of a Woman de Madame van Horn. Et même si vous savez déjà tout, depuis les chants d'esclaves jusqu'à l'accordage baissé d'un demi ton de Stevie Ray, lisez-le quand même, car c'est toujours un plaisir quand un auteur apporte un éclairage différent sur la musique qu'on aime...

    Avec les chanteuses de blues classique, on s'éloigne un peu des images d'épinal :  il n'est pas question uniquement d'inondation et de charançon du coton, de Vaudou ou de pacte avec le diable, mais avant tout on chante  – et de quelle manière ! – la vie citadine et son cortège de plaisirs et surtout de vicissitudes. Tout y passe :  prostitution, adultère, femmes abandonnées, alcool, drogues, homosexualité féminine... Car ce sont les femmes qui mènent la danse du blues naissant. Des voix qui crient, pleurent ou grondent de colère. Des voix magnifiques qui n'ont pas prit une ride, au contraire de celles maniérées et datées de certains de leurs homologues masculins (Lonnie Johnson, Blind Blake).

    Ces femmes, d'abord, on ne voulait pas les enregistrer. Des Noires, vous n'y pensez pas, ça ne marchera jamais ! Et puis en 1920, il y a eu Mamie Smith et son Crazy Blues, premier blues jamais enregistré par un afro-américain. Le disque à peine sorti, c'est le délire. On se l'arrache. Plus d'un million de copies sont vendues en une année... Et les maisons de disques de se trouver une nouvelle vocation : le Blues. Les nouvelles divas s'appellent désormais Ma Rainey, Alberta Hunter, Bessie Smith, elles voient leur condition de vie passer du sordide au luxe, certaines venant même chanter en Europe. La crise de 1929 aura raison de ces fastes et les chanteuses de blues classique retomberont dans l'oubli. Les années trentes verront encore quelques grandes dames comme Lil Green ou encore Memphis Minnie, mais les derniers portraits que trace Nina van Horn concernent des chanteuses qui appartiennent plus qu'épisodiquement ou pas à l'histoire du Blues : Sister Rosetta Tharpe, Odetta, Billie Holliday. Il faut être honnête, les grandes voix afro-américaines de l'après-guerre, ce ne sera plus dans Blues qu'il faudra les chercher, ces dames préférant le Gospel, le Jazz ou la Soul.

    Le livre est bien fait. Une introduction plante le décors du blues dans les années vingt, puis se succèdent les portraits des chanteuses pas forcément dans l'ordre chronologique, mais s'achevant tous par le texte, suivi de sa traduction, d'une chanson emblématique de son interprète. On regrettera la qualité médiocre des nombreuses illustration, mais le style est alerte et le tout se dévore comme un roman de gare.

    Les Femmes et le Blues, selon Nina  Van Horn et  Buzzy Jackson

     


    Buzzy Jackson, quant à elle, elle fait plutôt dans le style best-seller, ces pavés que l'on se croit obliger d'emmener à la plage pour tromper l'ennui. Autrement dit c'est long, mais c'est assez bien écrit et traduit pour que l'objet ne vous tombe pas des ma
    ins. Si le bouquin de van Horn vous a séduit et que vous voulez en savoir plus, notamment sur les chanteuses d'après-guerre, je vous le conseille. Cela commence par le jeune Jelly Roll Morton découvrant le Blues sous les doigts de la pianiste et chanteuse Mamie Desdoumes en 1902 et se termine par un chapitre sur les chanteuses de rock perçues comme les vrais héritières dans l'esprit des chanteuses noires des années vingt. La perspective est résolument féministe et le livre tient parfois un peu du manifeste. Un engagement qui ne lui nuit pas et qui nous change du ronron poli de biens des musicologues.

     

    Je signale pour finir que sur le même thème, on peut lire en bibliothèque l'excellente biographie de Bessie Smith par Florence Martin.



    Bonne lecture.

     

     

                                                                     


    Nina Van Horn, Hell of a woman : hommage aux femmes du blues, Paris : Société des écrivains, 2011. - 229 p. : ill. 

    Buzzy Jackson, Chanteuses de Blues, Paris : A. Fouque, 2006. - 266 p. : ill. - (A Bad woman feeling good. Blues and Women who sing them, 2005, trad. de L. Carrissimo)

    Florence Martin, Bessie Smith, Paris : Limon, 1994. - 286 p. : ill. 

     

    autres lectures :

    Nina Van Horn, Les femmes du blues et moi sur la planete, in Blues Magazine, n° avril-juin 2011, pp.58-63. -

    Sophie Edelman, Destin d'une chanteuse de Blues, Paris : Seuil, 1986 . - 122 p. - (roman)










    Tags Tags : , , , , , , , , ,